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Explosion de l’usine AZF : l’Etat n’est pas responsable dans la mesure où le danger n’était pas connu

Installation classée, Jurisprudence, Responsabilité

Le 21 septembre 2001, une explosion au sein de l’usine AZF à Toulouse entrainait la mort de 31 personnes et en blessait plusieurs centaines. L’explosion s’est produite dans le bâtiment n° 221 où des dérivés chlorés ont été mélangés à des nitrates d’ammonium déclassés, dans un milieu humide, le tout en violation des prescriptions d’exploitation.

Deux riverains ont obtenu, devant la Cour administrative d’appel de Bordeaux, la condamnation de l’Etat pour défaut de contrôle de l’installation classée (CAA Bordeaux, 24 janvier 2013, n° 10BX02881). M. Gilbert et les époux Molin demandaient respectivement les sommes de 10 000 € et 20 000 € en réparation des troubles dans leur condition d’existence et du préjudice moral subi. Ils obtinrent respectivement 1 250 € et 2 500 €, au titre de la perte de chance d’éviter le dommage, évaluée à 25% par la Cour.

La réparation est modique, mais le sens de la décision était lourd de conséquences pour l’Etat dans sa mission de contrôle des ICPE.  La Cour a rappelé que l’inspection avait réalisé 11 visites de contrôle en 1995 et 2001, sans pour autant que le bâtiment n° 221, en infraction depuis plusieurs années, n’ait été contrôlé. Pour la Cour,

l’existence même de ces modes irréguliers de stockage de produits dangereux dans le bâtiment 221, pour des quantités importantes et sur une longue durée, que traduisent l’encroûtement des produits répandus sur le sol et la détérioration de celui­ci, révèle une carence des services de l’Etat dans leur mission de contrôle de cette installation classée (nous soulignons)

Par un arrêt du 17 décembre 2014 (n° 367202, sous sections réunies, mentionné aux tables), le Conseil d’Etat a cassé cet arrêt en considérant que l’existence même de l’infraction aux prescriptions d’exploitation, même sur une longue durée, n’était pas suffisante pour engager la responsabilité de l’Etat. Encore eut-il fallu que l’Etat eu connaissance du danger.

Suivant les dispositions de l’article L. 514-1 du code de l’environnement (transféré à l’art. L. 171-7),

lorsqu’un inspecteur des installations classées ou un expert désigné par le ministre chargé des installations classées a constaté l’inobservation des conditions imposées à l’exploitant d’une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé.

Le Conseil d’Etat en a déduit que le préfet est tenu de mettre en demeure l’exploitant qui ne satisfait pas aux conditions d’exploitation prévues par l’arrêté d’autorisation (CE, 9 juill. 2007, Ministre de l’écologie c/ société Terrena-Poitou, n° 288367). Cette solution a une conséquence directe sur le terrain de la responsabilité : est fautive l’abstention d’agir du préfet dûment informé.

Dans la lignée de cette décision, le Conseil d’Etat a retenu, dans son arrêt du 17 décembre 2014, qu’il appartient aux services en charge du contrôle des installations classées

d’adapter la fréquence et la nature de ses visites à la nature, à la dangerosité et à la taille de ces installations ; qu’il leur revient (…) de tenir compte, dans l’exercice de cette mission de contrôle, des indications dont ils disposent sur les facteurs de risques particuliers affectant les installations ou sur d’éventuels manquements commis par l’exploitant (nous soulignons)

Au cas particulier, le Conseil d’Etat a estimé « qu’aucun élément ne permettait à l’administration de d’identifier le bâtiment 221 comme recelant une particulière dangerosité, dès lors notamment que l’étude de dangers réalisée en 1990 par l’exploitant avait écarté le risque d’explosion des lieux de stockage de nitrate d’ammonium et que l’administration n’avait pas été alertée sur une méconnaissance des prescriptions réglementaires dans cette installation ». Il a censuré l’arrêt d’appel pour erreur de droit en ce que la Cour a retenu la responsabilité de l’Etat sans s’interroger sur les indications portée à sa connaissance.

Pour le rapporteur public, M. Xavier de Lesquen, « il ne parait pas possible de faire peser sur l’administration une obligation de contrôle systématique », qui d’ailleurs ne résulte pas des textes. Autrement dit, l’inspection des installations ne peut être tenue de détecter toutes les défaillances des exploitants si elle ne dispose pas d’informations particulières. L’obligation de moyens se transforme donc en obligation de résultats lorsque l’administration est informée d’une infraction ou d’un facteur de risques particuliers. Cela constitue tout de même, en principe, une garantie sérieuse pour la protection des travailleurs, des riverains et de l’environnement.

Cela rappelle l’importance de l’étude de danger et de l’étude d’impact soumis au contrôle du préfet avant la délivrance de l’autorisation d’exploiter. Cela rappelle également le rôle que peuvent jouer certains acteurs en complément des services de l’Etat : les associations agréeés, les concurrents (cf. nos commentaires sous l’arrêt de la Cour de cassation du 21 janvier 2014), les travailleurs eux-mêmes  -protégés en qualité de lanceur d’alerte (art. L. 1351-1 c. santé publique) – et le CHSCT (art. L. 4133-1 c. travail et s.).

> CE 17 décembre 2014, n° 367202, mentionné aux tables
> Conclusions du rapporteur public publiées au BDEI n° 55 de février 2015, p. 5.