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Le marché du stockage d’électricité : quels relais de développement en France ?

Energie, Stockage

Le stockage d’électricité a de l’avenir en France. Plusieurs marchés sont porteurs mais il manque un cadre réglementaire adapté. Tour d’horizon des freins et leviers avec Louis-Narito Harada, d’Eversheds Sutherland et Corentin Baschet de Clean Horizon.

Avis d’Experts publié sur Actu-environnement le 11 juin 2018

Le plan de stockage électrique annoncé par EDF fin mars 2018, représentant 10 GW de nouvelles capacités de stockage à travers le monde et 8 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2035, est un signe clé parmi d’autres : l’industrie du stockage de l’électricité semble emboîter le pas au fort développement des énergies renouvelables (ENR). La baisse continue du coût des batteries Lithium-ion (57% entre 2014 et 2018 selon Clean Horizon) diminue progressivement le coût des services fournis par le stockage et crée de nouveaux marchés : le marché de la mobilité électrique d’abord ; le marché de l’off-grid sur le continent Africain ou en zone non interconnectée (ZNI) ; le marché des services au système électrique à l’échelle nationale ou à l’échelle d’un éco-quartier ; ou encore celui de l’autoconsommation. A la lumière de nos pratiques respectives, nous proposons d’évoquer dans cet article quelques marchés porteurs, les freins et leviers de développement du stockage par batterie électrochimique en France.

Le développement de la pile à combustible n’est pas évoqué dans les lignes qui suivent, mais il est également à suivre de près avec l’annonce par le Ministre Hulot, le 1er juin 2018, du « plan de déploiement de l’hydrogène pour la transition énergétique », avec un appel à projets en 2018 et 100 M€ mobilisés à partir de 2019.

Quelques marchés porteurs

Les opportunités de valorisation du stockage de l’électricité sont variées puisque les systèmes de stockage sont par nature des systèmes flexibles qui peuvent s’adapter aux besoins des réseaux ou des utilisateurs.

Des projets expérimentaux et des démonstrateurs ont testé l’intérêt du stockage d’un point de vue technique et économique, en lien avec une production solaire photovoltaïque (PV) ou éolienne (Nice Grid ou Venteea pilotés par Enedis, par exemple). En métropole, les résultats économiques sont mitigés mais vont s’améliorer à mesure que le taux de pénétration des EnR augmente et que le prix des batteries baisse. De fait, dans les zones non interconnectées, notamment Martinique, Guadeloupe, Corse, et La Réunion, le « solaire PV + stockage » est déjà très rentable puisque le prix moyen des offres retenues par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) en octobre 2017 est de 113 €/MWh, contre un coût de production d’électricité de 200 €/MWh en moyenne. De surcroît, les pouvoirs publics soutiennent le stockage en ZNI en prévoyant que les coûts des ouvrages de stockage d’électricité gérés par le gestionnaire du réseau sont compensés via la contribution au service public de l’électricité (art. L. 121-7 du code de l’énergie).

En 2016, une expérimentation menée par l’IFP-EN et le pôle Synéo dans la région des Hauts de France a montré que le stockage n’était pas rentable pour les seuls services « consommateurs » (arbitrage tarifaire et lissage de pic). Pour augmenter les revenus et rembourser l’actif de stockage, les services « consommateurs » doivent être complétés avec des services « réseaux » : participation au marché de capacité et aux services système (réserve primaire et réserve secondaire) liés au réglage de fréquence ou de tension sur le réseau, rémunérés par RTE. Les services système représentent un marché de taille modeste (300 M€) mais offrent une rémunération de la capacité mise à disposition intéressante.

Ce cumul de création de valeurs permet notamment l’émergence de prestations de services de stockage pour les industriels électro-intensifs qui peuvent bénéficier des services « consommateurs » et même d’une réduction de Turpe prévue par l’article D. 341-9 du code de l’énergie grâce au lissage dans le temps de l’utilisation du réseau via l’usage d’une batterie.

De plus, le Turpe 5 HTA/BT, entré en vigueur le 1er août 2017, renforce la différence de tarif entre les heures de pointe et celles de moindre charge, ce qui favorise tant les actions de maîtrise de la consommation que l’autoconsommation associée au stockage d’électricité. Cependant, si l’installation de systèmes de stockage est expressément autorisée dans le cadre de l’autoconsommation, il n’est pas favorisé par la structure tarifaire de l’autoconsommation, ce que certains acteurs regrettent.

Le véhicule électrique pourrait aussi contribuer à l’équilibre du réseau et valoriser une batterie qui passe l’essentiel de son temps inactive derrière son point de recharge. Plusieurs constructeurs automobiles expérimentent actuellement le concept du « vehicule-to-grid », dans l’attente d’un cadre réglementaire qui n’existe pas, notamment pour gérer l’injection d’électricité sur le réseau et compter les kWh en vue de les rémunérer.

Les freins et leviers de développement

Le vide juridique entourant le vehicule-to-grid illustre le fait que l’environnement réglementaire n’est pas encore adapté au développement significatif du stockage de l’électricité, ce qui constitue un premier frein important. Il ne s’agit pas de réclamer un tarif d’achat propre à l’électricité restituée par les batteries, ce qui aurait peu de sens, mais de donner un statut juridique au stockage et de simplifier les conditions de raccordement. Aujourd’hui seul le statut ICPE est simple, avec un régime de déclaration des « ateliers de charge d’accumulateurs » pour les installations d’une puissance supérieure à 50 kW (rubrique 2925). En octobre 2017, Enedis a publié une Documentation Technique de Référence relative aux conditions de raccordements des installations de stockage (Enedis-PRO-RES_78E). Faute de régime propre au stockage, les conditions de raccordement au réseau de distribution dépendent du comportement (injection et/ou soutirage) de l’installation vu du réseau, ce qui complexifie singulièrement l’opération. Il conviendrait aussi de proposer des orientations politiques claires, notamment dans le dossier du maître d’ouvrage pour la PPE 2019-2023 en cours de consultation, ce qui n’est pas le cas. Plus globalement, c’est au niveau de l’Union européenne qu’il conviendrait d’harmoniser la législation propre au stockage d’électricité.

Afin d’identifier les leviers de développement du stockage, il est intéressant de regarder comment les marchés de nos voisins anglais et allemands sont structurés puisqu’ils sont les deux leaders européens du stockage – suivis du marché français des ZNI évoqué précédemment. L’Allemagne compte aujourd’hui près de 200 MW de batteries installées sur le réseau fournissant de la réserve primaire, tandis que la Grande Bretagne a déjà signé des contrats avec des dispositifs de stockage représentant un total de plus de 1.000 MW de capacité (contrats de capacité et de réglage de fréquence).

L’Allemagne et le Royaume-Uni ont tous les deux largement entamé leur transition vers les énergies renouvelables intermittentes, sur des bases et avec des conséquences différentes pour les deux territoires. En Allemagne, cet effort s’est traduit par une hausse du prix de l’électricité qui, couplée à des aides d’Etat propres au « solaire PV + stockage » (prêts à taux réduits, réductions d’impôt et tarifs d’accès au réseau spécifiques), a permis l’installation de plus de 60.000 batteries résidentielles fin 2017. Quant au Royaume-Uni, la forte pénétration d’énergie solaire l’été a déclenché un besoin accru de stabilité qui a poussé le gestionnaire du réseau à contractualiser davantage de capacité pour régler la fréquence du réseau. Ces deux pays ont aussi en commun d’avoir ouvert leurs marchés de services systèmes au stockage et d’avoir publié des règles claires pour la participation de ces nouvelles technologies dans ces marchés. La France a entamé ce processus d’ouverture des marchés des services systèmes, mais la mise en place semble lente et pourrait être accélérée par l’affirmation d’une volonté politique forte de transition vers les énergies renouvelables.

Avis d’expert proposé par Louis-Narito Harada, avocat associé, Eversheds Sutherland et Corentin Baschet, consultant, Clean Horizon