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Remise en état des sols pollués : police ICPE ou déchet? Le Conseil d’Etat brouille les cartes…

Déchet, Installation classée, Jurisprudence, Responsabilité, Sols pollués

En matière de sols pollués, la délicate question de l’articulation entre la police des installations classées (pouvoir du préfet) et celle des déchets (pouvoir du maire) n’est pas résolue et ne semble pas en voie de l’être.

En deux mots, la question est la suivante : le propriétaire d’un site pollué par une activité ICPE révolue peut-il se voir imposer, en l’absence de dernier exploitant ou d’ayant droit, la remise en état du site au titre de la police des déchets ?

Tentons une petite synthèse de l’état du droit existant…

Selon une solution classique, le propriétaire du terrain et des installations ne peut, « en cette seule qualité« , être tenu pour responsable de la remise en état du site (CE, 21 février 1997, SCI Les Peupliers, n° 160250; CE, 21 février 1997, SA Wattelez, n° 160787). L’obligation de remise en état imposée par la réglementation ICPE (art. L.512-6-1 c. env. ) ne peut être ordonnée qu’à l’encontre du dernier exploitant, de son ayant-droit ou de celui qui s’est substitué à lui (CE Ass., 8 juillet 2005, Sté Alusuisse Lonza France, n° 247976).

Parallèlement, le maire est fondé à prendre des mesures d’élimination des déchets au titre des pouvoirs de police qui lui sont propres (art. L. 541-3 c. env.; CE, 18 nov. 1998, Jaegger, n° 161612). Le Conseil d’Etat précise à cet égard que les dispositions relatives à l’élimination des déchets ont « créé un régime juridique distinct de celui des installations classées pour la protection de l’environnement, n’ont pas le même champ d’application et ne donnent pas compétence aux mêmes autorités » (CE, 17 nov. 2004, Société Générale d’Archives, n° 252514). Ce n’est qu’en cas de carence du maire que le préfet peut intervenir sur le fondement de l’article L. 541-3 précité, contre le producteur ou détenteur des déchets (CE,  11 janv. 2007, Sté Barbazanges Tri Ouest, n° 287674).

Dans ce contexte apparemment clair, la police « ICPE » permet la remise en état des sols et plus généralement du site; celle relative aux déchets permet, à défaut de dernier exploitant de l’installation classée (ou de dernier exploitant solvable), d’imposer au propriétaire du site l’enlèvement des déchets (ex: pneumatique ou fûts usagers), à condition toutefois que ce dernier puisse être regardé comme « détenteur » au sens de l’article L. 541-2. Tel pourra être le cas si le propriétaire a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain (CE, 11 juillet 2011, Cne de Palais sur Vienne, n° 328651 ou Sté Wattelez 2, la notion de détenteur restant ainsi relativement obscure). Si le site est totalement orphelin, c’est-à-dire sans dernier exploitant ni « détenteur » des déchets, « la gestion des déchets et la remise en état du site pollué par ces déchets » peut être confiée par l’Etat à l’ADEME (art. L. 541-3 V).

Pour que cette distinction des polices ICPE et déchets soit opérante et compréhensible, il importe que le sol pollué ne puisse pas être qualifié, en droit, de déchet. C’est pourtant ce que fait le Conseil d’Etat dans son arrêt du 23 novembre 2011. S’agissant d’une pollution des sols au mercure, il juge que le propriétaire (la société mixte d’aménagement Montreuil développement, chargée de l’aménagement d’une ZAC) « pouvait être regardée comme le détenteur des déchets en cause au sens des dispositions de l’article L. 541-2 » . En conséquence de quoi il juge que le préfet pouvait légalement imposer la remise en état du site au titre de la police des déchets, compte tenu de la carence du maire!

A défaut de pouvoir imposer la remise en état des sols pollués au titre de la législation ICPE, le préfet pouvait donc recourir à la législation déchets. Cette confusion entre les deux polices nous parait entièrement fondée sur une erreur de droit : le sol (pollué) ne peut être qualifié de déchet.

Cette question fut l’objet de longs débats au niveau européen. Le 7 septembre 2004, la CJCE jugeait dans un arrêt Van de Walle que le sol pollué pouvait être qualifié de déchet. Devant l’émoi des industriels, le législateur communautaire revenait en arrière dans la directive cadre n° 2008/98 du 19 novembre 2008, transposée par ordonnance n° 2010-159 du 17 décembre 2010. Créé par cette ordonnance, l’article L. 541-4-1 du code de l’environnement prévoit de façon expresse que « ne sont pas soumis aux dispositions du présent chapitre les sols non excavés, y compris les sols pollués non excavés et les bâtiments reliés au sols de manière permanente« .

L’arrêt du Conseil d’Etat, inconciliable avec cette donnée essentielle, ne peut se comprendre qu’au regard de la date de la décision préfectorale litigieuse, à savoir le 2 octobre 2001. Statuant en matière d’excès de pouvoir, le Conseil d’Etat aurait mis en oeuvre le droit « alors applicable », lequel ne prévoyait pas que les sols pollués ne peuvent être qualifiés de déchets. C’eut été plus clair en le précisant. Il reste que depuis la loi du 15 juillet 1975, le déchet est défini comme un bien meuble (abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon)… ce qui excluait nécessairement le sol de la qualification de déchet.

Si l’environnement et le contribuable y gagnent à travers une remise en état du sol qui n’incombera pas à la collectivité (via l’ADEME), cet arrêt est porteur d’un risque juridique sensible pour les propriétaires non exploitants de sites pollués : épargnés par la réglementation ICPE, ils seraient malgré tout susceptibles d’être tenus pour responsables de la dépollution en vertu de la législation applicable aux déchets, à l’initiative du maire ou à défaut à celle du préfet.

> CE, 23 novembre 2011, Min. de l’écologie c/ Sté Montreuil Développement, n° 325334

Complément : les conclusions du rapporteur public Xavier de Lesquen, dont nous venons d’obtenir la communication, confirment que la solution ici donnée par le Conseil d’Etat ne vaut que sous l’empire de la jurisprudence Van de Walle reprise par la directive 2006/12 du 5 avril 2006. Se référant à l’arrêt CE, 18 juillet 2011, Commune de Nîmes, n° 339452, le rapporteur public estime qu’ « il ne fait donc pas de doute qu’à la date de la décision illégale du préfet, la société MODEV pouvait être regardée comme le détenteur des déchets en cause au sens de articles L. 541-2« . Depuis l’expiration du délai de transposition de la directive 2008/98, le 12 décembre 2010, la police des déchets ne peut plus être mise en oeuvre pour assurer la remise en état des sols pollués.