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Portée de la charte de l’environnement et pouvoir réglementaire : quand la loi ne fait pas écran

Charte, Jurisprudence, Participation du public

Dans un arrêt d’assemblée du 12 juillet 2013 (Fédération nationale de la pêche en France, n° 344522), le Conseil d’Etat a fait évoluer sa jurisprudence sur la portée de la Charte de l’environnement.

On sait depuis un arrêt du 19 juin 2006 (Association Eau et rivière de Bretagne, n° 282456 évoqué ici) que lorsqu’une loi met en oeuvre la charte de l’environnement, la légalité des décisions administratives s’apprécie par rapport à ces dispositions. La loi faisant écran, la solution retenue revient à restreindre la portée de la Charte à « ce qu’en dit la loi ».

Par ailleurs, dans son arrêt Commune d’Annecy (CE, ass., 3 oct. 2008, n° 297931 évoqué ici sur un autre point), le Conseil d’Etat avait jugé, au sujet de l’article 7 de la Charte, qu’ »une disposition réglementaire ne peut intervenir dans le champ d’application de l’article 7 (…) que pour l’application de dispositions législatives, notamment parmi celles qui figurent dans le code de l’environnement (…) sous réserve (…) qu’elles ne soient pas incompatibles avec les exigences de la Charte« .

La conjugaison de ces deux jurisprudences tendait d’une part à limiter l’expression du pouvoir réglementaire en matière d’environnement, d’autre part, à « faire taire » la Charte au profit de la loi la mettant en oeuvre. Sur la base de l’article 34 de la Constitution (« la loi détermine les principes fondamentaux (…) de la préservation de l’environnement« ) et du renvoi aux « conditions définies par la loi » aux articles 3, 4 et 7 de la Charte (respectivement sur les principes de prévention,pollueur-payeur et participation), le législateur détenait toutes les clés.

L’arrêt du 12 juillet 2013 met fin à ces deux blocages. Revenant sur sa jurisprudence, le Conseil d’Etat juge dans un considérant de principe que « la conformité au principe énoncé par l’article 3 de la Charte de l’environnement de dispositions législatives définissant le cadre de la prévention ou de la limitation des conséquences d’une atteinte à l’environnement, ou de l’absence de telles dispositions, ne peut être contestée devant le juge administratif en dehors de la procédure prévue à l’article 61-1 de la Constitution » (i.e. la QPC). Il ajoute « qu’en revanche, il appartient à celui-ci, au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier si les mesures prises pour l’application de la loi, dans la mesure où elles ne se bornent pas à en tirer les conséquences nécessaires, n’ont pas elles-mêmes méconnu ce principe« .

Ainsi, lorsque le pouvoir réglementaire se borne à faire application d’une disposition législative, celle-ci fait toujours écran. Mais lorsqu’il va plus loin – le Conseil d’Etat affirme ici que c’est permis -, le juge administratif peut alors apprécier directement la conformité du texte réglementaire au regard de l’article 3 de la Charte. Mieux, il exerce sur ce point un contrôle normal.

Pour les dispositions de la Charte qui s’exercent « dans les conditions définies » par la loi (art. 3, 4 et 7 précités), cette jurisprudence donne un nouvel élan à la Charte de l’environnement qui peut désormais avoir une existence et une interprétation autonome, distincte de celle posée par le législateur. Dans le cadre des principes énoncés par la Charte et dans les limites posées par l’article 34 de la Constitution, le pouvoir réglementaire voit également son champ d’intervention élargit.

Sans entrer dans le détail des faits de l’espèce, on relèvera simplement le Conseil d’Etat a retenu que « le pouvoir réglementaire [s’était] borné à mettre en oeuvre les dispositions de l’article L. 921-1 du code rural et de la pêche maritime qui prévoient le principe de l’institution de régimes d’autorisation de la pêche, notamment professionnelle, de certaines espèces ou groupes d’espèces pendant certaines périodes et dans certaines zones, avec des engins et pour des volumes déterminés« . Il n’était pas poussé à envisager l’hypothèse d’un texte réglementaire qui ne serait pas pris pour l’application d’une loi. Son considérant de principe prend d’autant plus de relief et de force.

> CE Ass. 12 juillet 2013, Fédération nationale de la pêche en France, n° 344552