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Protection de l’air : l’Etat mis au pied du mur

Air, Jurisprudence, Responsabilité

S’il existait un recueil des grands arrêts du droit de l’environnement, celui-ci en serait : par un arrêt « Association Les Amis de la Terre » du 12 juillet 2017, publié au Lebon, le Conseil d’Etat soumet l’Etat à une obligation de résultat en matière de protection de l’air.

Plus précisément, en vertu de la loi sur l’air du 30 décembre 1996, codifiée et modifiée afin de transposer la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur en Europe, il fait injonction au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de

prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en oeuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de la présente décision, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018

« Dans les circonstances de l’espèce », la haute juridiction estime qu’il n’y a pas lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte. Mais le juge sera sans doute moins bienveillant si les dépassements persistent.

En 2015, le Conseil d’Etat avait jugé que le dépassement des valeurs limites en Ile de France ne suffisait pas à caractériser une carence fautive du préfet parce que les plans de protection de l’atmosphère locaux ne sont qu’un des leviers de la politique française en la matière (CE 10 juin 2015, n° 369428, Association Les Amis de la Terre). Une décision critiquable, mais toujours est-il que l’association en a pris acte et choisi la cible suggérée, l’Etat – en la personne du Premier ministre et du ministre chargé de l’environnement – et sa politique nationale, clairement insuffisante à la lumière de l’obligation de résultats imposée aux Etat membres (art. 13 et 23 de la directive de 2008) et reprise en droit interne (art. L. 222-4, L.222-5 et L. 223-1 du code de l’environnement).

Suite à un plusieurs procédures en manquement engagées par la Commission européenne, suite au constat de dépassements persistants (2012 à 2014) dans de nombreuses zones de surveillance de la qualité de l’air sur les paramètres dioxyde d’azote et particules fines PM10, suite même à une mesure d’instruction pour l’année 2015 (marquant un certain volontarisme du Conseil d’Etat), il a donc été jugé que

eu égard à la persistance des dépassements observés au cours des trois années précédant les décisions attaquées, les plans relatifs à la qualité de l’air pour les zones en cause et leurs conditions de mise en oeuvre doivent être regardés comme insuffisants au regard des obligations rappelées aux points 1 et 2, dès lors qu’ils n’ont pas permis que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible (…)

qu’en refusant d’élaborer, pour les zones concernées par ces dépassements, des plans relatifs à la qualité de l’air conformes à ces dispositions et permettant que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible, l’autorité investie du pouvoir réglementaire a méconnu les exigences prévues aux articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l’environnement, qui transposent l’article 23 de la directive du 21 mai 2008 (…)

que l’annulation prononcée au point précédent implique donc nécessairement que le Premier ministre et le ministre chargé de l’environnement prennent toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés et mis en oeuvre des plans relatifs à la qualité de l’air conformes aux exigences rappelées au point 2 permettant de ramener, dans ces zones, les concentrations en dioxyde d’azote et particules fines PM10 sous les valeurs limites dans le délai le plus court possible

Cette décision n’est pas surprenante puisqu’elle s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence de la CJUE (arrêt ClientEarth du 19 novembre 2014, C-404/13) et même dans celui de la Cour suprême britannique qui a adressé la même injonction au gouvernement (UK Suprême Court, 29 avril 2015, ClientEarth, n° 2012/0179).

Mais elle a le grand mérite d’exister et de garantir le respect effectif du « droit à respirer un air sain » inscrit depuis 1996 dans notre droit. Nul doute que l’action du gouvernement et du Ministre Nicolas Hulot sera surveillée de près… et que cette jurisprudence en inspirera d’autres, dans le domaine de l’eau par exemple.

 

> CE 12 juillet 2017, n° 394254, association Les Amis de la Terre France, 6ème et 1re chambres réunies, publié au Lebon

> Conclusions de Suzanne von Coester publiées dans la revue Droit de l’environnement, Juillet/août 2017, n° 258, p. 223