BLOG

La loi interdisant les gaz de schiste est jugée conforme à la Constitution. Le principe de précaution en sort-il grandi?

Charte, Jurisprudence, Sols pollués

Par une décision n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution  la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011. Les articles 1er et 3 de la loi étaient visés par la société Schuepbach à travers une Question prioritaire de constitutionnalité.

L’article 1er interdit, en application du principe de prévention (art. 3 de la Charte de l’environnement et L. 110-1 du code de l’environnement), « l’exploration ou l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche ».

La société Schuepbach reprochait à cet article d’être contraire :

  • au principe d’égalité devant la loi (art. 6 de Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 – DDHC),
  • à la liberté d’entreprendre (art. 4 de la DDHC),
  • au principe de précaution (art. 5 de la Charte).

L’article 3 prévoit un mécanisme d’abrogation des permis exclusifs de recherche si l’exploitant envisage le recours effectif ou éventuel à des forages suivis de fracturation hydraulique de la roche.

La requérante soutenait que ces dispositions portaient atteinte :

  • à la garantie des droits (art. 16 de la DDHC),
  • au droit de propriété (art. 2 et 17 de la DDHC),
  • au principe de conciliation (art. 6 de la Charte de l’environnement).

Les arguments les plus solides semblaient être ceux tirés de la violation du principe d’égalité (1) et du principe de précaution (2). On reviendra également sur la prétendue atteinte à la garantie des droits (3) et au droit de propriété (4).

1. Sur la violation du principe d’égalité

La requérante soutenait que la géothermie était injustement épargnée par l’interdiction alors qu’elle recourrait également au procédé de fracturation hydraulique. Selon une jurisprudence classique, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur pouvait traiter différemment des situations différentes.

Entre la fracturation hydraulique pour l’exploitation des hydrocarbures et la géothermie, il a relevé trois différences techniques : le nombre de forages nécessaires, la nature des roches soumises à la fracturation hydraulique et les caractéristiques et conditions d’utilisation des produits ajoutés à l’eau. Puis en reprenant les travaux parlementaires, il a relevé comme il se doit que cette différence de traitement était en rapport direct avec l’objet de la loi.

Une telle démarche demandait un certain effort au Conseil constitutionnel. Il l’a fournit.

2. Sur la violation du principe de précaution

La requérante soutenait que l’existence de risques graves et irréversibles n’étant pas démontrée, seul le principe de précaution était applicable. Or celui-ci a été méconnu par la loi dans la mesure où elle n’a pas prévu de mesures provisoires et proportionnées pour parer à la réalisation du dommage, mais une interdiction pérenne.

Là encore, mais de façon parfaitement implicite, le Conseil constitutionnel a fait l’effort de juger que le procédé interdit présentait effectivement des risques graves et irréversibles pour l’environnement. En témoigne le fait qu’il a jugé inopérant le moyen tiré de la violation du principe de précaution (lequel ne s’applique qu’en cas de risque non avéré).

Sur ce point important, cette décision elliptique manque singulièrement de pédagogie. Mais alors qu’on a tendance à mettre le principe de précaution « à toutes les sauces » pour mieux le fustiger, il faut souligner que le Conseil constitutionnel a dûment évité ce travers. De façon implicite, les sages rappellent ainsi l’objet particulier du principe de précaution; ils en réaffirment sa spécificité et son importance.

A moins que cette décision n’ait pas la portée innovante qu’on souhaite lui prêter…

Il se peut en effet que le Conseil constitutionnel préfère implicitement s’abstenir de distinguer prévention et précaution au bénéfice d’une conception modeste de sa fonction de juge :

Considérant que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu’il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur les moyens par lesquels le législateur entend mettre en oeuvre le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ainsi que le principe de prévention des atteintes à l’environnement (Décision n° 2012-282 QPC du 23 novembre 2012, association FNE et autres, considérant n° 8).

Autrement dit, si le législateur a cru bon d’invoquer le principe de prévention, c’est un choix sur lequel le Conseil constitutionnel n’entend pas revenir.

Pour se prononcer sur la question, on attendra donc une réaffirmation plus explicite du principe de précaution.

3. Sur l’atteinte à la garantie des droits

Non sans raison, la société Schuepbach soutenait que la loi était de nature à remettre en cause un titre et des droits dûment acquis. Rappelant les termes de l’article 16 de la DDHC, le juge constitutionnel observe que « le législateur méconnaîtrait la garantie des droits s’il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant ».

Il poursuit en relevant que l’abrogation des titres litigieux constitue une conséquence des nouvelles règles introduites par le législateur pour en conclure que cela « ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise ». Il faut comprendre sans doute que le juge, dans un langage décidément très sibyllin, estime que l’intérêt général était suffisamment fort pour justifier cette entorse aux droits acquis.

Dans le même sens, il a estimé que l’atteinte à la liberté d’entreprendre était proportionnée à l’objectif poursuivi.

Mais dans les deux cas, le geste parait inachevé dès lors le juge n’a pas justifié en quoi le motif d’intérêt général était suffisant ou proportionné à l’objectif poursuivi. L’appréciation du risque lié à l’exploitation des gaz de schiste – et donc l’intérêt de son interdiction – n’est pas exposée, si bien que la décision parait manquer de motivation.

4. Sur la violation du droit de propriété

L’argument semblait sérieux : l’interdiction d’exploiter les gaz de schiste porte atteinte au droit de propriété.

Pour le Conseil constitutionnel, la chose n’est pas aussi simple puisque

les autorisations de recherche minière accordées dans des périmètres définis et pour une durée limitée par l’autorité administrative ne sauraient être assimilées à des biens objets pour leur titulaire d’un droit de propriété

En ce sens déjà, le Conseil constitutionnel jugeait en 1982 que l’autorisation d’exploiter des services de transport public ne peut être l’objet d’un droit de propriété (Décision n° 82-150 DC du 30 décembre 1982 – Loi d’orientation des transports intérieurs).

Mais la décision prend ici un relief particulier puisque selon le code civil, le sous-sol appartient au propriétaire du dessus (art. 552) tandis que l’Etat intervient, pour sa bonne gestion, au titre des autorisations administratives. A supposer que l’exploitant fut propriétaire des sols (question que le juge ne pose pas ici, laissant entendre qu’elle n’a pas d’incidence), il faut comprendre que le droit d’exploiter sa propriété ne se confond pas avec la propriété elle-même dans la mesure où l’intermédiation de l’Etat, garant de l’intérêt général, s’impose.

La distinction est subtile mais elle est capitale dans la mesure où elle évite que le droit de propriété ne dérive en abus dommageable pour l’environnement.

> Décision n° 2013-346 QPC du 11 octobre 2013