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Les antennes relais, le principe de précaution et l’impartialité du Conseil d’Etat…

Charte, Institution, Jurisprudence

D’après ma modeste expérience, l’indépendance du juge administratif, réelle ou supposée, n’est pas souvent mise à défaut. Pour autant, on le sait souvent enclin à donner raison à l’administration pour des raisons que nous qualifierons de « culturelles ». Aussi, cet article publié sur Actu-environnement, questionnant l’indépendance du Conseil d’Etat, m’a frappé et il pose vraiment question tant on sait qu’en la matière l’indépendance de l’expertise et du juge au sens large sont fondamentales.

Certains magistrats du Conseil d’Etat, dont un rapporteur public ayant conclu dans une récente affaire d’antennes relais (nous y reviendrons) auraient eu des liens (certes révolus) avec des opérateurs de téléphonie mobile, les rendant plus sensibles à leurs arguments. Ces liens pourraient – je souligne le conditionnel – expliquer que la jurisprudence administrative, soit plus favorable aux opérateurs que la jurisprudence du juge civil.

Pour le détail, l’article d’Actu-environnement résume les faits :

Comme l’a déjà révélé LeCanard Enchaîné le 12 octobre dernier, le rapporteur public Xavier de Lesquen a été l’ancien patron du Défi Bouygues Telecom Transiciel qui participa en 2000 à la coupe de l’America avec un bateau qui aurait été financé à hauteur de 40 millions de francs par l’opérateur de téléphonie mobile« Susceptible d’encourager une obligeance à l’égard de l’opérateur, cet antécédent peut légitimement permettre de reconsidérer la position du rapporteur relative au pouvoir du maire dans l’application du principe de précaution », jugent Leila Aïchi et l’association.

Loin de nous l’envie de jeter l’opprobre sur le juge administratif. Il n’empêche : il faut rester vigilent sur son indépendance, et les protestations de la sénatrice Leïla Aichi (EELV) et de l’association Robin des toits ont quelque chose de salutaire pour  notre démocratie. Une question reste posée : le conflit d’intérêt existe-t-il lorsque les liens sont vieux de 10 ans?

Ces observations étant faites, l’occasion nous est donnée d’évoquer la récente jurisprudence du Conseil d’Etat en matière d’antennes relais.

Rappelons d’abord les décisions qui ont suscité la polémique : ces trois arrêts d’Assemblée du Conseil d’Etat d’octobre dernier, qui présentent un intérêt certain (CE Ass., 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis (n°326492),Commune de Pennes-Mirabeau (n°329904) et SFR (n°s 341767 – 341768)).

Nous ne les avions pas évoqués ici une fois de plus, mais je le souligne, ce blog n’a aucune prétention  à l’exhaustivité, surtout dans cette période surchargée en nouveaux textes. En substance, trois points à retenir :

  • Le Conseil d’État juge que seules les autorités de l’Etat désignées par la loi (ministre, ARCEP, ANFR) sont compétentes pour réglementer de façon générale l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile.
  • Un maire ne saurait donc réglementer par arrêté l’implantation des antennes relais sur le territoire de sa commune, sur le fondement de son pouvoir de police générale.
  • Le Conseil d’État précise en outre que le principe de précaution ne permet pas à une autorité publique d’excéder son champ de compétence.
Autrement dit, les compétences générales du maire en matière de police et de salubrité publique (art. L. 2212-1 et L. 2212-2 du CGCT) s’effacent devant la compétence spéciale du ministre chargé des communications électroniques. Et le principe de précaution ne permet pas au maire de reprendre la main.
Il faut tout de même rappeler que le maire peut invoquer le principe de précaution pour s’opposer à une déclaration de travaux visant à l’installation d’antennes relais (cf. CE, 19 juillet 2010, Association du quartier les Hauts de Choiseul, n° 328687, mentionné ici).
Mais cette avancée restera probablement sans suites en matière d’antennes relais puisque le Conseil d’Etat vient de juger que l’invocation du principe ne suffit pas à fonder légalement une opposition à déclaration de travaux. Encore faut-il faire état d’ « éléments circonstanciés faisant apparaître, en l’état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus » (CE, , 30 janv. 2012, Société Orange France, n° 344992).
Cette décision ne parait pas déraisonnable, mais la difficulté consiste à qualifier les « éléments circonstanciés » en question. S’il faut démontrer l’existence de particularités locales, le principe de précaution sera probablement bien inoffensif en matière d’antennes relais car intrinsèquement une antenne relais n’est plus dangereuse ici qu’ailleurs. Si en revanche on peut considérer qu’un rapport international et indépendant constitue un « élément circonstancié », alors ce principe pourrait être opérant. Mais comme le note le professeur Jégouzo (édito de l’AJDA du 13 fév.),  l’exigence d’éléments circonstanciés nous rapproche dangereusement du principe de prévention, vidant la précaution de sa spécificité.
Pour l’heure, en l’état des connaissances scientifiques – et nous revenons à nos premières considérations -, le Conseil d’Etat a jugé à chaque fois que la violation du principe de précaution n’était pas démontrée en matière d’antennes relais.
> L’article d’Actu-environnement « Antennes relais de téléphonie mobile : l’impartialité du Conseil d’Etat remise en cause »
> CE Ass., 26 octobre 2011, Commune de Saint-Denis (n°326492),Commune de Pennes-Mirabeau (n°329904) et SFR (n° 341767)
> CE, 30 janv. 2012, Société Orange France, n° 344992